CINÉMA – Dans Romy, Femme libre, Lucie Cariès remonte le fil de la carrière de Romy Schneider à l’aune de ses choix professionnels et sentimentaux. Au travers de ce documentaire fourmillant d’archives où l’iconique actrice se raconte, la cinéaste décrit la femme indépendante, déterminée et solaire qu’elle était.

Vous cosignez ce documentaire avec Clémentine Déroudille. Comment s’est nouée votre collaboration ?

Clémentine est aussi commissaire de l’exposition sur Romy Schneider qui se tient à Paris à la Cinémathèque Française. Elle a eu l’idée de proposer un projet de film sur cette actrice iconique avec un regard nouveau. Elle a contacté Félicie Roblin, productrice chez Zadig, qui s’est tournée vers moi pour que je le réalise.

Qu’entendez-vous par « nouveau regard » ?

Cela fait quarante ans que d’une certaine façon, on se raconte Romy Schneider. Par habitude et par facilité, nous l’associons depuis sa mort à certains de ses rôles et aux drames de sa vie, dont la mort de son jeune fils David. C’est comme si nous lisions à posteriori son parcours à l’aune de ce qui l’attendait. Et c’est précisément cela que nous avons souhaité casser avec Clémentine. Nous proposons, grâce aux archives, de nous replacer dans la temporalité de Romy et de nous situer au présent pour faire en sorte qu’on ne sache pas ce qu’il va se passer. Notre but a été d’éloigner cette espèce de déterminisme terrible. Nous avançons avec elle et découvrons à quel point c’était une femme déterminée, courageuse et solaire. Nous avons déplacé le regard pour le replacer dans son temps à elle.

Vous déplacez notamment le regard à l’aune de ses choix, qu’elle assumait quitte à tout bouleverser…

C’est exact. Nous ne souhaitions pas nous placer dans quelque chose de projeté. Comme nous nous basons uniquement sur ce qu’elle dit de sa vie dans les entretiens qu’elle a donné, nous la montrons telle qu’elle était. Sentimentalement et professionnellement, elle a toujours été chercher ce qu’elle voulait avec les dents, d’une certaine façon. Elle a quitté des hommes et des pays. Elle a su être dans la rupture et les choix à chaque moment importants de sa vie.

À quel moment du processus de travail cet angle s’est-il imposé ?

C’est au moment du visionnage des archives de l’INA et de Gaumont, notamment, que je me suis rendu compte à quel point l’angle d’attaque était juste et n’était pas quelque chose de plaqué à posteriori. Nous ne sommes pas dans le sillage de « Me too » ou dans le « Girl power ». Nous sommes dans sa réalité à elle. D’ailleurs, elle ne se disait pas féministe et ce qu’elle dit est extrêmement courageux.

Comment expliquez-vous cette position ?

Il y a quelque chose de l’ordre de l’émancipation de la pression qui s’exerçait sur elle. Elle ne roulait que pour elle. Ce n’est pas de l’individualiste : c’était simplement une femme indépendante ! Elle considérait qu’elle avait eu une histoire extrêmement particulière et qu’elle ne pouvait pas vivre sans être comédienne. Elle considérait aussi qu’il y a d’autres femmes pour qui ce n’est pas une nécessité, et c’est un propos totalement assumé.

À quel point son histoire a-t-elle influencé ses choix de carrière ?

Lino Ventura disait qu’il allait vers des personnages à qui il pouvait serrer la main. Ce qui intéressait Romy Schneider, c’était d’explorer. Elle avait une telle passion pour le métier de comédienne – ce qui s’inscrit de façon très personnelle dans son histoire, puisqu’elle est issue de parents comédiens – qu’elle a eu envie de tout essayer. Un film un peu improbable comme Le Trio infernal (1974), de Francis Girod, l’a amusée et c’est cela qu’elle aimait. Toute sa vie, elle a regretté de ne pas avoir pu retourner faire du théâtre comme elle en a fait avec Luchino Visconti. Je ne sais pas si elle allait vers des rôles parce qu’ils faisaient écho en elle. J’ai l’impression qu’elle y allait parce que c’était son métier.

Visconti est-il, d’après vous, celui qui a fait d’elle une comédienne ?

Sans aucun doute. D’ailleurs, elle l’affirme. C’est lui qui l’a lancée vers quelque chose de très différent. Il la faisait travailler d’une façon acharnée et refusait de laisser la place au doute. Il la poussait dans ses retranchements avec une réelle bienveillance. Elle savait qu’il était en train de l’aider et n’a jamais douté qu’il l’aimait. Avec Andrzej Żuławski, cela avait été beaucoup moins saint. Avec Visconti, ils travaillaient ensemble pour tirer le meilleur d’elle.

Bizarrement, on associe davantage Romy Schneider à L‘important c’est d’aimer (1975), d’Andrzej Żuławski…

Et ce alors que Romy, c’est avant tout la Rosalie de César et Rosalie (1972), le film de Claude Sautet ! C’est d’ailleurs sur ce film que nous ouvrons le documentaire. Toute sa vie, elle a été beaucoup plus proche du personnage de Rosalie que d’autres rôles parfois terribles qu’elle a pu jouer. Claude Sautet et Romy Schneider, c’était une forme particulière de couple, comme celui qu’elle forme d’ailleurs avec Michel Piccoli à l’écran. On sait à quel point Piccoli était le prolongement de Claude Sautet dans ses films. Ce que je trouve très beau, c’est que cette rencontre sublimée continue de nous nourrir. La puissance de la rencontre entre ces deux-là a fait des films absolument intemporels et indémodables.

Quel type d’archives avez-vous eu entre les mains ?

J’ai réuni tout ce qu’elle a pu dire à différents moments de sa vie dans des interviews écrites, télévisées ou radiodiffusées. Certains moments sont des OFF. J’ai utilisé certains extraits d’interviews pour les mettre dans la bouche de Swann Arlaud, qui prête sa voix pour le commentaire du film. J’ai plongé dans ces archives et tenté d’avancer dans sa temporalité. J’avais douze ans quand elle est morte et j’ai essayé de me délester de cela. Je voulais la redécouvrir. D’une certaine façon, cela a été très facile car le postulat de départ de Clémentine s’est très vite confirmé.

Combien du temps avez-vous travaillé sur ce film ?

Environ dix mois en préparation et plus de six mois en montage. Il a constitué un véritable travail de dentellière avec ma monteuse, Fabienne Alvarez-Giro. Nous avions en permanence le souci d’être au plus près de Romy Schneider telle qu’elle était.

Comment la collaboration avec Swann Arlaud s’est-elle nouée ?

Cela fait des années que j’aime sa voix et je m’étais noté de penser à lui un jour pour un film. Il n’avait jamais fait de voix. J’avais très envie que ce soit un homme parce que la figure de Romy Schneider est compliquée et impliquer une comédienne, cela aurait nécessité de la placer à un endroit qui n’aurait pas convenu. Je voulais un homme jeune et moderne, qui assume d’être vulnérable parfois. Je lui ai dit que si ça n’avait pas été lui, j’aurais demandé à Patrick Dewaere et il a ri. Nous avons beaucoup travaillé en amont. Je lui ai décrit tout ce qui est entre les lignes, tout ce qui n’est pas dans le film ou qui l’a été et que nous avons ôté au montage. C’est fort de tout cela qu’il est venu enregistrer. J’ai souhaité une discussion de comédien à comédien, ou même d’homme jeune à femme jeune. Il ne fallait pas qu’il soit amoureux d’elle. J’avais presque envie qu’on ait la sensation qu’ils soient dans un troquet et une sorte de proximité, mais sans aller trop loin, en se débarrassant des déterminismes et des drames.

Propos recueillis par Benoit Pavan

Légende photo : Photo du film Romy, Femme Libre (DR).

Publié le 18 mai 2022 sur le site internet officiel du Festival de Cannes.

Lien web : https://www.festival-cannes.com/fr/festival/actualites/articles/romy-schneider-une-icone-independante-dans-loeil-de-lucie-caries

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